La Allemagne a officiellement annoncé sa nouvelle politique spatiale militaire, exposant des plans ambitieux soutenus par des dizaines de milliards d'euros d'augmentation des dépenses au cours des prochaines années. Le 19 novembre, le ministère allemand de la Défense a publié sa stratégie de sûreté et de sécurité spatiales, détaillant la perspective évolutive du gouvernement sur la sécurité nationale dans l'espace et ses intentions d'investir dans de nouvelles capacités spatiales défensives et potentiellement offensives.
L'avant-propos du rapport, co-écrit par Boris Pistorius, le ministre allemand de la Défense, et Johann Wadephul, le ministre des Affaires étrangères du pays, déclare : "Le but de cette stratégie est d'assurer et de garantir la capacité d'action à long terme de l'Allemagne dans l'espace - dans les secteurs civil et militaire - en temps de paix, de crise et d'état de défense." Ils ont en outre souligné que "Cette stratégie de sûreté et de sécurité spatiales constitue une partie importante des efforts de l'Allemagne pour sauvegarder ses intérêts et consolider sa position d'acteur responsable dans l'espace."
La publication de cette stratégie fait suite à l'annonce récente de Pistorius d'un investissement de 35 milliards d'euros (41 milliards de dollars) dans les programmes spatiaux militaires spatiaux au cours des cinq prochaines années, ce qui représente une augmentation significative. Bien que l'annonce n'ait pas précisé l'affectation des fonds, le document de stratégie met en évidence les principales priorités. Il identifie trois "domaines d'action stratégiques" : identifier les risques et les menaces et les options de réponse, promouvoir la coopération internationale et un ordre durable dans l'espace, et renforcer les capacités de défense pour la dissuasion et la résilience. Ces domaines englobent 65 tâches liées à la politique et au développement technologique, sans préciser les délais ni les besoins de financement. Toutefois, le rapport offre des indications sur les priorités de financement potentielles.
Par exemple, le rapport préconise un soutien européen accru aux lanceurs, petits et grands. Il précise que "À moyen terme, l' ESA devrait s'efforcer de développer des systèmes de lancement européens capables de fonctionner à des cadences élevées dans toutes les classes de charge utile afin de fournir à tous les utilisateurs un accès flexible à l'espace pour des profils de mission très agiles." Le rapport encourage également le développement du European Launcher Challenge afin de garantir l'accès indépendant de l'Europe, même à l'espace cislunaire.
Isar Aerospace et Rocket Factory Augsburg, deux sociétés allemandes, font partie des cinq "challengers présélectionnés" dans le cadre du European Launch Challenge, en attendant l'approbation du financement par les États membres de l'ESA lors de la prochaine conférence ministérielle. L'armée allemande pourrait contribuer au financement de ces entreprises dans le cadre du programme.
Le rapport met également l'accent sur les technologies avancées telles que les navettes spatiales, soulignant leurs avantages : "Elles peuvent décoller et atterrir sur des aérodromes conventionnels, sont réutilisables, ne produisent pratiquement pas de débris spatiaux, permettent des opérations plus rapides que les véhicules classiques et causent moins de pollution environnementale pendant la phase de lancement", indique-t-il. Le rapport comprend même une illustration d'un concept de navette spatiale aux couleurs de l'armée allemande.
Les autres technologies d'intérêt comprennent les petits satellites pour les missions spatiales réactives et l'amélioration de la connaissance de la situation spatiale. "Nous travaillons à l'utilisation militaire de lanceurs lourds et de micro-lanceurs, de navettes spatiales réutilisables, de nouvelles technologies de propulsion, de la logistique en orbite, de l'espace cislunaire et de grandes constellations de satellites multifonctionnels", détaille le rapport.
Bien que l'accent soit mis sur la défense des intérêts allemands et alliés, la stratégie suggère des activités potentielles de contre-espace : "Nous renforçons la capacité de la Bundeswehr à agir dans l'espace et lui permettons de limiter l'utilisation de l'espace par les adversaires."
Ce rapport émerge alors que l'Allemagne et d'autres nations européennes sont sur le point d'augmenter les dépenses militaires spatiales, parallèlement aux plans d'une augmentation significative du budget de la Commission européenne pour la défense et l'espace au cours du prochain cycle budgétaire de sept ans à partir de 2028.
Lors d'une table ronde à Space Tech Expo Europe le 19 novembre, Wolfgang Duerr, vice-président et responsable des activités mondiales pour l'espace institutionnel chez Airbus Defence and Space, a souligné la nécessité d'"une stratégie claire en Europe et également au niveau national, soutenue par des lignes budgétaires dans lesquelles nous devons investir à long terme".
Stewart Hall, directeur commercial de Telespazio Germany, a souligné un changement de perspective récent : "Il y a peut-être deux ans, ce n'était pas un sujet dont les gens étaient prêts à parler. Il est assez difficile de parler d'armement efficace de l'espace en même temps que l'on se positionne pour soutenir les utilisations pacifiques continues de l'espace."
Marco Fuchs, directeur général d' OHB, a noté l'orientation traditionnellement civile de l'industrie spatiale européenne : "L'industrie spatiale en Europe est traditionnellement civile. On constate une tradition d'activités d'agence, d'activités commerciales, scientifiques. Cela va évidemment changer dans les prochaines années. Vous verrez plus de défense, et ce sera un peu comme ce que nous avons l'habitude de voir lorsque nous allons à des conférences et à des salons spatiaux aux États-Unis : beaucoup plus de défense et une présence militaire beaucoup plus forte. Ce sera également l'avenir ici."

